vie

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* Les traductions françaises de Kierkegaard traitent ordinairement comme des termes équivalents vie, existence, être-là. Cela entraîne des contresens graves mais inaperçus des lecteurs français ne pouvant se reporter au texte original danois. On ne dira jamais assez que beaucoup de problèmes vitaux ne sont en rien des problèmes existentiels. L'existence est qualitativement plus et autre que le fait d'exister (autrement dit l'existence comme être-là [en danois Tilvœrelse en allemand Dasein]). L'existence est aussi qualitativement bien plus que la vie (biologique et socio-historique) parce qu'elle inclut en elle une dimension heuristique et dynamique. On perçoit cette spécificité de l'existence par rapport à la vie si l'on se réfère métaphoriquement à l'Éros du Banquet platonicien « Cette complexion de l'existence (Existents) rappelle la conception grecque d'Éros qui se trouve dans le Banquet [...]. Car Amour ici signifie manifestement l'existence (Existents), ou ce par quoi la vie (Liv) est dans le Tout, cette vie qui est la synthèse de l'infini et du fini. Dénuement et Richesse engendrèrent ainsi, suivant Platon, Éros, dont l'essence est formée des deux ensemble. Mais qu'est l'existence ? C'est cet enfant qui a été engendré par l'infini et le fini, par l'éternel et le temporel, et qui, en conséquence, est constamment s'efforçant » (P-S, SV3 IX, p. 79-80/OC X, p. 87. Voir Platon, Banquet, 203 a -204 b). L'existence est la connexion — dialectiquement portée par l'esprit — de l'infini et du fini, de l'éternel et du temporel. Cette mise en relation est effectuation mais un tel mouvement d'effectuation ne se conclut pas, humainement parlant, par une synthèse définitivement acquise. L'individu humain a bien existentiellement à se rapporter au Tout, et il ne le peut qu'en s'engageant dans un geste décisif assumant la perspective de la synthèse, anticipant la synthèse réalisée, visant une vie pleine qui serait la synthèse réussie du sensé et du sensible. Toutefois l'être humain ne se rapporte à cette vie richement signifiante que dans le lieu et l'opération du manque dans l'ici-maintenant humain la synthèse, à chaque instant approchée, demeure inaccomplie.
** On lira dans La maladie à la mort l'analyse concernant l'esprit défini comme rapport ayant à se rapporter à titre de tiers à ce qui est déjà un rapport (cf. MM, SV3 XV, p. 73-74/OC XVI, p. 171-172). Il convient de rappeler ici que la « maladie à la mort » ne se confond pas avec la mort même. La référence d'Anti-Climacus est l'Évangile de Jean « Il y avait un homme malade ; c'était Lazare de Béthanie, le village de Marie et de sa sœur Marthe. [...] Les sœurs envoyèrent dire à Jésus "Seigneur, celui que tu aimes est malade." Dès qu'il l'apprit, Jésus dit "Cette maladie n'aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu c'est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié." » (Jean XI, 1-4 <TOB>). Jésus, trouvant Lazare déjà au tombeau, l'appelle à vaincre la mort « Et celui qui avait été mort sortit, les pieds et les mains attachés par des bandes, et le visage enveloppé d'un linge. Jésus dit aux gens "Déliez-le et laissez-le aller !" » (Jean XI, 44 <TOB>). Tandis que la notion de vie, au sens usuel, peut se penser entièrement dans la dimension de l'immanence, la notion d'existence implique une reconnaissance paradoxale de la transcendance. Il n'y a plus alors opposition simple entre mort et vie (on est vivant ou on est mort, tertium non datur), mais s'ouvre une dialectique de la vie qui prend en compte la mort c'est en passant (métaphoriquement, physiquement, spirituellement) par la mort qu'on accède à la Vie. Ce mouvement personnel, qui suppose un engagement décisif n'éludant pas le travail du négatif, a à voir avec l'existence (ici tertium datur). Confirmant la liaison de deux champs irréductibles l'un à l'autre (le temporel et l'éternel), l'existence exprime, du point de vue humain, le paradoxe de la rencontre sans coïncidence de ces deux champs. L'éternel vient s'inscrire dans la temporalité en un Instant incompréhensible (impossible à comprendre, impossible à réduire par une opération discursive d'entendement, impossible à résorber dans une histoire quantitative puisque cet événement est qualitativement différent de tous les autres qui sont homogènes entre eux dans un temps quantitatif). Cet Instant paradoxal n'est accessible que par référence à l'Incarnation christique. Ainsi l'existence (expérience proprement humaine) est conjonction d'éléments séparés c'est pourquoi elle tend à la rupture, étant au point extrême où la brisure menace perpétuellement de se produire mais, de façon paradoxale, elle empêche aussi l'éclatement, l'existence étant ce mixte, ce mélange où subsistent dynamiquement et dialectiquement des contradictoires. Il y a présence réelle de chacun des éléments dans le mixte (qui n'est jamais confusion des éléments ni absorption de l'un par l'autre, ni annulation de l'un dans l'autre, ni subsomption des deux éléments en un troisième). Ce n'est pas de spéculation mais d'appropriation qu'il s'agit. Une pareille appropriation concerne un sujet pensant-existant qui a à tirer les conséquences pratiques de l'obligation où il se trouve d'avoir à vivre une situation échappant à la pensée pure mais qui n'acquiert signification et structure que par la manière qu'a ce sujet pensant-existant de la penser tout en la vivant. On devine ici comment l'existence est la vie à la seconde puissance, la vie exemplifiée, démultipliée grâce à la présence paradoxale de la transcendance au sein de l'immanence (qui fait que l'immanence cesse dès lors d'être pure immanence).
« L'être humain pense et existe, et l'existence disjoint la pensée et l'être, les tient séparés l'un de l'autre dans la succession » (P-S, SV3 X, p. 36/OC XI, p. 31). Nous, êtres humains, nous existons mais ne sommes pas, tandis que, à proprement parler, Dieu est, Dieu n'existe pas « Dieu ne pense pas, il crée. Dieu n'existe pas, il est éternel » (ibid.). On en conclura (peut-être avec un brin d'humour) que Dieu est l'authentique penseur systématique, étant « Celui qui est lui-même en dehors de l'être-là et pourtant dans l'être-là, Celui qui est enfermé en son éternité pour l'éternité et renferme pourtant en soi-même l'être-là » (P-S, SV3 IX, p. 102/OC X, p. 113).

Le vocabulaire de Kierkegaard, Ellipses. . 2002.

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