signe-de-la-contradiction

signe-de-la-contradiction
* Dans L'école du christianisme, Kierkegaard ou plutôt son pseudonyme Anti-Climacus analyse la notion de signe. « Un signe est l'immédiateté niée ou l'être autre différent de l'être premier. N'est pas dit par là que le signe n'est pas immédiatement quelque chose mais qu'il est un signe, et que ce qu'il est comme signe, il ne l'est pas immédiatement, ou bien [encore] il n'est pas, comme signe, l'immédiat qu'il est» (EC, SV3 XVI, p. 122/OC XVII, p. 114). Ce que perçoit quiconque regarde, par exemple, une bouée sur l'eau, ce n'est pas la bouée car ce qui se montre empiriquement est seulement un objet flottant (bâton, morceau de caoutchouc, liège). Le signe n'est jamais directement signe. D'où un risque d'erreur et même de mystification « le signe est seulement pour celui qui sait que c'est un signe, et au sens le plus fort seulement pour celui qui sait ce qu'il signifie ; pour tout autre, le signe est ce qu'il est immédiatement » (ibid.). Il y a un décalage irréductible entre la perception et le savoir. Aucun passage direct n'est offert de la perception de l'objet au savoir du signe. Le repérage, même s'il paraît facile et instantané, ne s'effectue que parce que sont déjà à l'œuvre la détermination-de-réflexion et le travail de la pensée.
** Or, il peut y avoir un signe dans le signe. On définira alors une catégorie spéciale de signe, que Kierkegaard appelle (EC, SV3 XVI, p. 122/OC XVII, p. 115) signe-de-la-contradiction. Ce signe-ci exprime une contradiction, il se donne pour le contraire de ce qu'il est. En règle générale il y a dans le signe décalage entre perception et savoir mais, dans le cas présent, la vérité du signe s'oppose contradictoirement à ce que le signe montre [Voir aussi supra Ironie]. Cela rend le signe essentiellement équivoque, incertain (et non pas simplement équivoque ou incertain par l'effet normal de l'articulation de l'intellection sur la perception). Or c'est entre l'infini et le fini, entre Dieu et un être humain particulier, que la contradiction est la plus extrême. « L'Homme-Dieu est un "signe" » (EC, SV3 XVI, p. 122/OC XVII, p. 114) et ce signe-ci est suprêmement signe de contradiction (cf. Luc II, 34). Homme-Dieu, le Christ est celui en qui la vérité s'oppose à l'apparence. L'apparaître du signe christique est le contraire de son être. Dans son immédiateté, Jésus est un homme d'humble condition (ici, on peut se référer à la figure du serviteur esquissée dans les Miettes philosophiques) ; mais, en son être, il est Dieu. Tout au long de sa présence sur la terre, il est Dieu sous une forme non reconnaissable. L'école du christianisme insiste sur la notion d'incognito, développée aussi dans les Miettes. Dieu ne vit pas sa vie terrestre dans un incognito simple — tel celui du policier en civil qui réendosse à volonté son uniforme. Le Christ ne revêt pas un incognito partiel qu'il pourrait ponctuellement abandonner à n'importe quel moment du temps, mais il adopte ce qu'Anti-Climacus appelle l'incognito absolu (son incognito terrestre n'est jamais supprimé). L'incognito du signe-de-la-contradiction est continuellement maintenu avec la plus grande rigueur (cf. EC SV3 XVI, p. 125/OC XVII, p. 117). Il n'y a aucun moyen humain de lever cet incognito de Dieu ayant pris forme humaine. Le signe-de-la-contradiction est alors doublement un signe. La foi intervient bien comme savoir du signe, mais ce savoir-ci doit venir d'un autre lieu que le savoir des codes normalement associés à la perception dans l'appréhension du signe simple. Réfléchissant à cela, on retrouve quelques thèmes majeurs des Miettes l'incognito, le paradoxe, la communication indirecte, l'idée selon laquelle même le contemporain historiquement le plus proche de l'événement christique a à s'en rendre chrétiennement contemporain [Voir supra Contemporanéité].
*** Il y a paradoxe parce qu'il y a rencontre de deux éléments radicalement étrangers l'un à l'autre (l'infini et le fini). Est paradoxale la rencontre de l'immanence avec la transcendance au sein même de l'immanence (ce qui, en bonne logique, est absurde). Le discours christique est qualitativement différent du discours socratique puisque cette parole neuve ne reconduit pas l'âme à un savoir intemporel précieusement enfoui au fond d'elle-même qu'elle aurait à se remémorer, mais oblige l'individu humain à faire dans la finitude même et durant la temporalité l'épreuve d'une altérité qui est vraiment pour lui altérité, étant inextricablement ce qu'il y a de plus semblable à lui et de plus antinomique. C'est aussi cela, le travail philosophique effectué par Kierkegaard avoir creusé sans relâche, à la suite de Lessing surtout mais dans une perspective distincte de la sienne, toutes les difficultés concernant la foi dans sa relation au témoignage historique. Loin de chercher à conduire vers la foi (il souligne d'ailleurs qu'aucun être humain ne peut donner la foi à un autre), Kierkegaard passe son œuvre à alerter ses lecteurs, à lutter contre leur somnolence (l'un de ses pseudonymes est d'ailleurs Vigilius Haufniensis, le Veilleur [de nuit] de Copenhague, le Vigilant de Copenhague). Il traite ainsi le religieux comme un lieu, une expérience et un discours très étranges qui ne sont pas philosophiques au sens socratique du terme mais auxquels un philosophe peut cependant s'intéresser, à condition qu'il s'interroge avec vigilance sur les pouvoirs et les limites de la philosophie, et à condition qu'il soit honnête, c'est-à-dire modeste.

Le vocabulaire de Kierkegaard, Ellipses. . 2002.

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